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mercredi 25 février 2015

Comédie musicale : création des Liaisons dangereuses de Schubring et Adenberg par le Theater-am-Gärtnerplatz

La Présidente de Tourvel, le Vicomte de vamont et la Marquise de Merteuil

Les liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos ont déjà connu de multiples adaptations à la scène comme à la toile. Les adaptations théâtrales (une douzaine!), cinématographiques (6 films, dont ceux de Vadim, Frears et Forman) et télévisuelles (au moins 5 adaptations) et même une adaptation pour l´opéra donnent à cette oeuvre une incroyable postérité. Les Gefährliche Liebschaften de Schubring et Adenberg sont à ma connaissance la deuxième comédie musicale à s´en être inspirée, la première étant les Liaisons tropicales montées à Buenos Aires en 2003. Sur la scène rococo du théâtre Cuvilliés, c´est pour cette année 2015 la deuxième fois que les Liaisons dangereuses sont représentées, on vient d´y jouer en janvier la pièce de Christopher Hampton. C´est dire la richesse du roman de Laclos et sans doute combien sa thématique est  restée actuelle.

Valmont et Joséphine de Fontillac dans la scène d´ouverture

Dis-moi comment tu baises je te dirai qui tu es! Si la formule est provocatrice, c´est que la mise en scène de Joseph Köpplinger de la comédie musicale de Marc Schubring et Wolfgang Adenberg ne l´est pas moins. Le rideau se lève sur un Valmont (Armin Kahl) les fesses en l´air en train de ramoner une certaine Joséphine de Fontillac (Anna Thorén), une des nombreuses maîtresses qu´il a détournées des chemins escarpés de la vertu et des devoirs de fidélité du mariage. La copulation s´effectue au rythme des percussions de  la musique  et conduit à sa fin prédictible, des orgasmes répétés. Elle est démultipliée par un immense miroir qui fait office de plafond incliné et qui permet au public transformé en voyeur de considérer la scène sous un angle différent. Pendant que Valmont s´applique à travailler le corps de Madame de Fontillac, des libertines en nuisettes se caressent et d´autres couples copulent an arrière-scène, miroirs vivants de l´action des protagonistes. Un néon rouge qui court le long de la paroi du décor contribue à créer l´ambiance d´un bordel ou d´un club échangiste. Le monde est un grand foutoir dans lequel des êtres peut-être humains en manipulent d´autres. Dans le même registre, on assistera au cunilingue pratiqué sur Merteuil par un des ses amants de fortune, la tête heureusement enfouie dans ses jupes. Le Theater-am-Gärtnerplatz conseille d´ailleurs explicitement le spectacle aux plus de 15 ans d´âge.

Madame de Tourvel sur son prie-Dieu avec Valmont agenouillé

Les scènes vont se succéder sans interruption au galop d´un rythme cavalier. Alors qu´une action se termine en avant-scène les acteurs de la scène suivante sont mis en place en arrière-scène et le plateau tournant les met . Le décor très simple conçu par Rainer Sinell est des plus ingénieux: un plateau tournant surmonté d´un grand miroir oblique dont l´inclinaison est variable autour duquel peut pivoter un double escalier de fer incurvé avec balustrade, dont les deux volées se rejoignent à son sommet et dont la courbe épouse celle du plateau. Quelques éléments de mobilier Louis XVI et de magnifiques costumes inspirés de la mode de la fin du 18ème siècle créés par Alfred Mayerhofer suffisent à recréer une ambiance Ancien Régime. Pour situer l´action à l´opéra, Merteuil (Anna Montanaro), qui y dispose d´une loge, invite ses amis.  Köpplinger et Cooper leur font gravir le double escalier en bord de plateau qui devient la scène de l´opéra, quelques personnages étant installés à des tables elles aussi en bordure de scène, les éclairages et les costumes font le reste. Les lumières de Michael Heidinger et Joseph Köpplinger semblent souligner le degré de moralité ou d´immoralité des scènes, du bleu de l´innocence de la jeune Cécile de Volanges (Anja Haeseli) à sa sortie du couvent et de la pudeur farouche de la Présidente de Tourvel (Julia Klotz) au rouge des manigances démoniaques de Merteuil et de Valmont et des scènes pornographiques, avec des gradations où les deux couleurs sont présentes. Le miroir du plafond est superbement exploité, il  permet de dynamiser les scènes en en variant les angles et en donnant une vue stéréoscopique de l´action. Köpplinger et Cooper utilisent de plus un autre effet miroir. Alors que les protagonistes nobles occupent l´avant-scène, le peuple des serviteurs est placé en arrière-scène et reproduit l´action principale en la démultipliant. Ainsi de certaines scènes érotiques où tout le plateau semble s´en donner à corps joie. De plus, l´inclinaison du grand miroir en deuxième partie introduit le public sur la scène parce qu´il s´y voit refléter. Le public, de voyeur, devient ainsi un peu acteur. Est-ce là une invite à ce nous nous interrogions sur nos propres turpitudes? En tout état de cause, la réflexion du miroir peut conduire à des réflexions plus intérieures. Pour les scènes finales, le rythme s´accélère encore et finit par s´affoler. Aux perversités des manipulations amoureuses et des jeux de société succèdent  les scènes de mort et de folie. Le duel qui oppose le Chevalier de Danceny (Florian Peters) à Valmont est un beau moment d´escrime qui montre la supériorité de Valmont dans cet art, et son suicide, puisqu´il se porte littéralement au devant de la lame de son adversaire. Les deux chanteurs ont été entraînés par un maître d´armes (Armin Kurzmaier). La folie désespérée de la Présidente de Tourvel la conduit elle aussi au suicide, un moment exceptionnel de mise en scène qui fait appel à des effets vidéos pour visualiser le sang répandu. Au final, la douleur de Merteuil qui se reprend pour se rendre au mariage de la petite Volanges  la conduit elle aussi vers la folie. Köpplinger fait pleuvoir ses lettres des cintres, pour montrer que sa correspondance a été portée à la connaissance du plus grand nombre et que, désormais honnie, elle a perdu tout crédit. Malgré l´horreur de ces drames, Cécile de Volanges semble pourtant vouloir prendre la succession de Madame de Merteuil dont elle recueille l´immoral héritage.

Le roman par lettres de Choderlos de Laclos recèle une action complexe dont il s´agit de rendre compte en 2H30 de spectacle. Les scènes se succèdent et s´enfilent à un rythme effréné que Köpplinger est parvenu à rendre en collaboration avec le chorégraphe Adam Cooper. Et sans doute ce rythme est-il une des plus grandes réussites de la soirée. La musique de Schubring, un des meilleurs compositeurs contemporains allemands de comédie musicale, est extrêmement entraînante et soutient le rythme effréné de l´action. Schubring a voulu rendre hommage au compositeur et parolier Stephen Sondhein à qui il a dédié sa partition. Et on se trouve bien avec son écriture musicale dans la tradition des grandes comédies musicales du tournant du siècle. La composition est pleine d´allant, elle utilise un langage musical connu et de bonne facture où l´influence de Sondheim reste marquante, notamment dans le traitement des motifs dramaturgiques. Le résultat de la collaboration entre le parolier-librettiste et le compositeur témoigne par ailleurs d´une parfaire connivence entre les deux hommes. Le chef Andreas Kowalewitz semble comme un poisson vif-argent dans l´eau pour diriger un orchestre dynamisé où les percussions sont très présentes, batterie, tambours et caisses, xylophone.

Toute la troupe, le soir de la première

Une distribution excellente porte la création de cette nouvelle oeuvre. Armin Kahl incarne avec un grand talent de comédien et une voix chaleureuse et puissante un Valmont débordant de phéromones au donjuanisme aussi séducteur que maladif. Anna Montanaro, célèbre chanteuse de comédies musicales à qui son talent a ouvert les portes de Broadway et du West-End, chante la Marquise de Merteuil avec une impressionnante présence scénique et un mezzo profond auquel elle imprime les accents cyniques de son personnage machiavélique avec la méchanceté d´une Cruella d´Enfer. Julia Klotz en Présidente donne une des meilleures performances de la soirée, délicieuse  par son jeu scénique, avec la représentation de l´évolution de son personnage qui passe graduellement de la vertueuse pudeur et de la réserve du quant-à-soi à la plus violente des passions, et par son beau soprano sensible et lumineux.

Signe de la réussite d´une soirée très applaudie, on sort du spectacle avec des brides des grands airs dans la tète, comme le Allmächtig de Valmont, le Stark wie die Tod ist die Liebe, plusieurs fois répété, le Liebe macht uns schwach de Merteuil, ou le Erlösen Sie mich de Tourvel.

Prochaines représentations du 25 au 28 février et du 2 au 6 mars. Réservations au 08921851960 ou en ligne en cliquant ici.

Crédit photographique Thomas Dashuber

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