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samedi 12 novembre 2016

Edmond Fazy, Louis II et Richard Wagner, d'après des documents inédits (1893)

Edmond Fazy (1870 – 1910). originaire du Berry, fut un homme de lettres et journaliste, éditeur de La République française,  wagnérien passionné et prosateur décadent. Pratiquant le turc, il  était connu comme anti-Ottoman (voir son ouvrage Les Turcs d’aujourd’hui, ou le Grand Karagheuz, Paris, Paul Offendorff, 1898, un ouvrage lui aussi mis en ligne sur archive.org). Il semble s'être beaucoup intéressé à l'homosexualité, qu'il dépeint de manière très négative, notamment dans son livre La nouvelle Sodome (1907).

Edmond Fazy, Louis II et Richard Wagner, d'après des documents inédits. Avec une version nouvelle sur la mort de Louis II. In-12. Paris, Perrin, 1893. Réédité par Ulan Press en septembre 2012

L'ouvrage peut se lire gratuitement en ligne sur archive.org

En 1893, l'année de sa parution, la  Bibliothèque universelle et Revue suisse en publiait une critique plutôt acerbe sur le style de l'ouvrage mais non sur son contenu.

Les décadents, qui ont découvert la couleur des voyelles, ou qui, du moins, ont popularisé cette théorie féconde, sont en général des wagnériens intrépides. J'en suis fâché pour Wagner, mais, à côté d'admirateurs fort sensés et qui m'inspirent toute sécurité, il en a de bien bizarres et parfois de bien compromettants. Ce n'est pas sa faute, j'en conviens mais le moyen de ne pas juger un peu le maître par ses disciples. Or donc, écoutez:

« Wagner fut presque un Jésus-Christ, un Jésus-Christ moderne lapidé d'outrages et de rires par la foule, inconsciente profanatrice, crucifié moralement par les bourgeois, plus vils encore que sots, un Jésus-Christ de l'art au flanc ouvert par la symbolique lance de l'injuste haine, au cœur transpercé par les sept glaives de la méconnaissance. Vous fûtes, Sire (cela s'adresse à Louis II de Bavière), le Jean de ce Jésus, le disciple Bien-Aimé de ce presque divin Maître. »

Suit une comparaison entre l'extase du Thabor et la transfiguration de Wagner dans la loge royale de l'Opéra de Munich. Je trouve cette étonnante élucubration dans un livre que m'a fait l'honneur de m'envoyer son auteur, un Genevois, M. Edmond Fazy, professeur en France, si je ne fais erreur. Ce volume de 200 pages reproduit la correspondance du Maître avec Mme Elisa Wille, de Zurich, qui le réconforta durant les jours d'épreuve et de lutte, puis raconte l'histoire de ses relations avec Louis II, 
« l'âme la plus pure et la plus magnifique peut-être de ce siècle. » Sans contredit, ce sont là des faits intéressants; mais pourquoi nous les conter en style apocalyptique, ou simplement en charabia décadent ? Pourquoi faire dire à Wagner « La merveilleuse amour du roi me retient en la vie » Et que penser de ce portrait de la princesse qui fut aimée de Louis II « La princesse Sophie, douce Vierge éprise certes du joli roi éphèbe aux yeux si profonds, mais trop bavaroise, trop bourgeoise, point royale ni artiste, ni nostalgique d'amour surhumain, médiocre et charmante, incapable absolument de suivre l'enfant génial en ses évasions éperdues, en ses ascensions héroïques et fatales d'Euphorion fier de ses ailes. »

J'ai le regret de ne pas connaître M. Edmond Fazy, mais je parie que dans la vie ordinaire il parle comme un galant homme et non de ce style transcendant et prétentieux, qui fleure le cabotinage. Pourquoi se travestir ainsi, quand on a d'ailleurs des choses intéressantes à dire ? Car l'auteur est évidemment bien informé et, si la nouvelle version qu'il propose sur la mort mystérieuse du roi de Bavière est terriblement invraisemblable, encore le paraîtrait-elle moins, exposée en une langue plus chrétienne. Aller du compliqué et du recherché au franc et au simple, voilà ce que nous osons proposer au jeune écrivain. Le public lui saura gré d'être clair, puisqu'il a quelque chose à dire.

En 1900, Jacques Bainville évoque lui aussi l'ouvrage de Fazy, en faisant le commentaire suivant à propos des commentaires de Fazy sur la mort de Louis II de Bavière:

M. Edmond Fazy, dans son "Louis II et Wagner", appuie une version de cette mort bien incroyable et peu fondée. D'après lui des conspirateurs catholiques, sous la conduite d'un Grand d'Autriche auraient voulu délivrer le Roi pour établir une monarchie bavaroise selon leurs idées, et chasser leur « bête noire », Lutz. Or ne savait-on pas assez que Louis l'avait jusqu'à la fin, pour toutes questions politiques, soutenu envers et contre tous? Le prêtre, que M. Fazy met dans celte aventure, pouvait-il l'ignorer? Sans compter les invraisemblances matérielles de ce récit, d'après lequel ces singuliers sauveteurs du Roi, venus à une heure fixée — comment s'était-on entendu avec le prisonnier? — en canot à travers le lac, auraient donné le signal en jouant l'air de réveil de Tannhauser, puis auraient assisté, les bras croisés, sans lui porter le moindre secours, à la lutte entre Louis et le Dr Güdden. Enfin, en le voyant tomber d'épuisement, ils seraient repartis à force de rames. Etranges conspirateurs, en vérité !

in Jacques Bainville, Louis II de Bavière, Paris, Perrin et Cie, 1900, p.313 (note de bas de page)

Enfin, en 1893,  Paul Dukas donne une appréciation très positive du livre d'Edmond Fazy dans une Chronique musicale  de la Revue hebdomadaire:

M. Edmond Fazy vient de publier, sous le titre de Louis II et Richard Wagner un ouvrage qui éclaire d'un jour inattendu les relations du roi de Bavière et de l'auteur de Parsifal. En s'attachant à reconstituer d'après de sûrs documents la figure du malheureux monarque dont la psychologie n'a été tentée jusqu'ici que d'une manière fantaisiste, sinon calomnieuse, M. Fazy a fait, croyons-nous, œuvre de justice en même temps que de piété artistique. Son livre est le plus bel hommage rendu jusqu'ici parmi nous au noble et infortuné souverain à qui nous devons d'avoir vu se produire la plus pure manifestation d'art de ce siècle le théâtre de Bayreuth. C'est dans la partie de son livre consacrée à l'étude du caractère de Louis 11 que M. Fazy nous a le plus captivé par l'ardente sympathie qu'il apporte à l'étude de ce caractère énigmatique expliqué pour la première fois d'une façon vraisemblable. On n'a pas jusqu'à présent assez considéré dans cette prodigieuse aventure du roi et du poète-musicien le rôle du roi. Il serait cependant plus important à étudier peut-être qu'on ne pense généralement.
[...]

PAUL DUKAS.

A noter qu'Edmond Fazy a également publié un article intitulé Louis II et Joseph Kainz dans Le Livre d'art : revue artistique et littéraire illustrée de planches originales du 25 juin 1896.












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