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dimanche 3 décembre 2017

Wagner et l'éditeur Schott. La genèse des Maîtres chanteurs.

La Maison Mère Schott sise Weihergarten à Mayence (Mainz)

Le Figaro du 10 juin 1911 publiait un article intitulé La Genèse des Maîtres Chanteurs à l'occasion de la publication en France du second volume de la correspondance de Wagner. Cet article nous rappelle les relations très personnelles qui unirent l'écrivain et la célèbre Maison d'édition Schott à Mayence.

Le salon Wagner
Dans un post suivant, nous ferons suivre la retranscription de l'article d'un reportage photographique que nous avons pu réaliser grâce à l'aimable accueil de Schott Music qui nous a permis de visiter la Maison mère de Mayence qui garde la mémoire du passage de Wagner dans son Salon Wagner (Wagnersaal), un salon mythique , conservé dans son état d'origine, dans lequel l'éditeur signe encore aujourd'hui ses contrats avec les compositeurs. 

"La Genèse des Maîtres Chanteurs.

Richard Wagner est décidément un littérateur à la mode. Jamais auteur ne fut lu avec plus de curiosité, commenté avec autant de passion.

En même temps que Ma Vie, dont nous avons donné ici même un extrait, on publie la correspondance du grand musicien avec ses éditeurs.

A peine le second volume de cette série de lettres est-il paru que, déjà, tous les journaux allemands s'en emparent et le découpent en petits morceaux qu'ils jettent à la foule avide de l'intimité des hommes célèbres. ̃Dans ces lettres écrites au jour le jour, sous l'impression vive des circonstances, il y a évidemment plus de sincérité et de réalité que dans la plus belle des autobiographies.

Les démêlés de Wagner avec les éditeurs Breitkopf et Haertel sont déjà connus par le tome premier de la Correspondance, publiée par les soins du professeur Wilhelm Altmann.

Après cette rupture, le compositeur s'adressa à la grande maison Schott, de Mayence, qui publia successivement les Maîtres Chanteurs, l'Anneau des Niebelungen, SiegfridIdyll et Parsifal.

Franz Schott (1811-1874)

Afin de sceller leur entente, Schott lui accorda dix mille francs pour l'édition de l'Or du Rhin.

Il attendait avec impatience le manuscrit des Niebelungen, quand, le 30 octobre 1861, dans une lettre datée de Vienne, Wagner commença à l'entretenir d'un « projet nouveau, d'un travail facile, qui serait rapidement terminé et qui le reposerait de l'effort constant, déprimant, qu'exige l'exécution des Niebelungen.

»Cet opéra s'appelle les Maîtres Chanteurs de Nuremberg et le héros, type à la fois jovial et poétique, sera Hans Sachs. Le sujet est empreint de drôlerie sentimentale et je me vante d'avoir trouvé là quelque chose d'absolument inattendu, d'original. Le plan est dû à ma seule invention. Le style du texte et de la musique sera léger et populaire. Je vous garantis que d'ici peu on jouera cela dans tous les théâtres, car, cette fois-ci, je n'aurai besoin ni d'un soi-disant premier ténor, ni d'une grande cantatrice dramatique. »

Wagner espère que ce projet séduira son éditeur autant qu'il a été enchanté lui-même de cette conception nouvelle.

« Il y a longtemps que je gardais en réserve ce joyeux travail je croyais que, pour m'y mettre, il me faudrait attendre un âge  avancé, car, aux prises avec les misères de la vie, je ne pensais pas trouver l'entrain nécessaire à cette entreprise. Mais ce sont précisément les difficultés actuelles de ma carrière artistique qui ont réveillé en moi cette idée chérie entre toutes. La réaliser, ce sera saisir la planche de salut qui m'aidera à dominer les tristesses de tout ordre de ma situation.»

Il raconte comment, après une année perdue, les Maîtres Chanteurs lui sont revenus subitement à l'esprit et « d'une minute à l'autre, je me sentis redevenu maître de ma destinée. Evidemment, c'était ma bonne étoile qui m'avait inspiré cette idée originale, enjouée, légère, afin de m'aider à traverser les moments les plus critiques de mon existence. Le sujet me permet de composer une musique claire, transparente, tout en étant nourrie et de couleur riante cependant, la lecture de l'ébauche, vous montrera que ma note personnelle trouvera là de quoi se développer dans tous les sens et jusqu'au point le plus exalté. En somme, je crois avoir trouvé maintenant le nerf essentiel de la vie allemande je la sens dans sa puissante originalité, non seulement à ma manière, mais telle que les étrangers la voient et l'aiment. » Je me rappelle, par exemple, que le directeur du Grand Opéra de Paris, examinant un jour avec moi les curieux costumes du quinzième et du seizième siècles allemands, me dit en,poussant un soupir « Ah si vous nous apportiez un opérable ce temps-là! Jamais, je n'ai eu la chance de pouvoir  employer ces costumes. »

Mais avant de se mettre au travail, le compositeur implore le viatique nécessaire pour payer quelques dettes criardes et subvenir aux besoins immédiats d'une situation pénible et d'une maison désorganisée. » On lui envoie dix mille francs qui sont vite épuisés.

Il demande à nouveau: « C'est la dernière bataille que je livre à mon terrible passé. Aidez-moi autant qu'il est en votre- puissance. »

A son corps défendant, Schott accorde une nouvelle avance et c'est à Paris, vers la fin de janvier 1862, que fut terminé le livret des Maîtres Chanteurs.

« Si je n'avais pas eu mon travail, je ne sais pas comment j'aurais pu résister. Mais je me suis enfermé là-dedans comme dans une forteresse et dans quatre jours, tout sera fini: »

Betty Scott (1821.1875)
Le 5 février suivant, la lecture de l'œuvre eut lieu chez Franz Schott, à Mayence. La femme de l'éditeur, Mme Betty Schott, âme d'artiste et cœur charitable, se montre alors très bonne à l'égard du « pauvre musicien »; elle lui fait cadeau de linge et de vaisselle, car la misère de Wagner n'a fait que grandir. Ses demandes d'argent deviennent de plus en plus pressantes.

Le 21 août, il termine une lettre par ces mots:

« Je n'ai rien à ajouter que ceci :Au secours!Au secours! Et vite ou je vais me jeter à l'eau. » 

Et le 24, comme'il .n'avait pas encore de réponse

« Faites le nécessaire en toute hâte! Je suis tout à fait â bout de ressources. Je ne né puis vous dire autre chose il faut absolument que vous me veniez en aide. » Mais l'éditeur qui, tant de fois déjà avait sauvé la situation, ne répondit pas à ces cris de détresse.

Aussi, au mois d'octobre suivant, Wagner lui écrivait ces paroles pleines d'amertume: « Par la faim, on peut m'extorquer bien des choses, mais on ne saurait me faire produire un travail d'essence supérieure. Croyez-vous donc, lorsque les soucis m'empêchent de dormir la nuit que je puisse, le lendemain, avoir l'entrain et la force imaginative nécessaires à une tâche. Les Maîtres Chanteurs étaient presque terminés et le seraient à l'heure qu'il est si vous vous étiez occupé de moi comme il convenait depuis que je suis ici."

» Vous aviez fait beaucoup, je le reconnais, en me donnant la possibilité d'entreprendre cette œuvre; mais il fallait aller jusqu'au bout et, puisque c'était indispensable, entretenir ma bonne humeur. «Même si cela devait vous coûter de grands sacrifices, jamais sacrifices n'auraient trouvé meilleur placement, tandis que votre économie et votre pusillanimité m'ont entièrement paralysé. Depuis la fin d'août depuis deux mois vous me laissez dans la situation d'un homme qui se noie. »

Là-dessus Schott répliqua froidement « Je ne puis mettre à votre disposition la grosse somme que vous désirez. D'ailleurs, un simple éditeur de musique ne saurait être à la hauteur de vos exigences; il y faudrait un banquier colossalement riche ou un prince ayant des millions à sa disposition. » Pour gagner son pain, Wagner est forcé de donner des concerts; il ne peut plus travailler il supplie l'éditeur:
« Faites-moi maître de mes Maîtres Chanteurs »

Et cette fois l'appel n'est pas vain Schott se laisse fléchir.

Cependant, Wagner est appelé à Munich, d'où un nouveau retard, car le roi Louis s'intéresse davantage aux Niebelungen. Ce fut le 16 août 1866, seulement, que le génial compositeur peut annoncer à Schott que les Maîtres Chanteurs, achevés, étaient à sa disposition.

La première représentation eut lieu, deux ans plus tard, à Munich, et Schott, qui mourut en 1874, eut la joie d'assister à la gloire naissante de cette œuvre qui lui avait coûté tant d'inquiétude.

Maxime Chadail", in Figaro du 10.06.1911


Crédit photographique: Luc Roger, avec l'aimable autorisation de Scott Musik.

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Pour en savoir plus: lire l'excellent article sur l'histoire de Schott Musik sur le site des éditions Schott. A noter que la salle Wagner n'est pas accessible à la visite.

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