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samedi 13 janvier 2018

Kirill Petrenko dirige un Rheingold 24 carats à Munich

Alberich (John Lundgren). Les photos sont de Wilfried Hösl.

La mise en scène d'Andreas Kriegenburg rapproche le langage scénique de la narration, tout en le renouvelant, avec un grand respect du texte et de la composition. 

En introduisant une centaine de figurants dans l'univers mythique des dieux du Walhalla et du peuple souterrain des Nibelungen, Andreas Kriegenburg place l'humain au coeur de sa production de l'Or du Rhin. Et c'est d'autant plus remarquable que le prologue de la tétralogie se passe du rôle commentateur des choeurs. Ainsi le mythe n'est-il plus seulement une histoire fondatrice dont les spectateurs seraient séparés par une fosse d'orchestre ou par la représentation d'un temps mythique. Une humanité impuissante et muette, malaxée par les éléments et par les dieux, constitue le décor incarné de l'action. C'est à la fois une manière d'installer le spectateur sur la scène et lui rappeler qu'il est partie prenante du drame qui se déroule sous ces yeux, un drame qui expose le conflit d'intérêt entre d'un côté l'amour et de l'autre l'argent ou l'or, et le pouvoir.

Les Filles du Rhin entourant l'or: J.Johnson, Ch. Landshamer, R.Wilson

Avant même que ne commence la musique, les figurants circulent en scène  portant de simples vêtements blanc. Ils occupent le caisson scénique fait entièrement de planches, assis en de nombreux petits cercles, et paraissent  discuter aimablement comme s'il s'agissait d'un pique-nique dominical. Plancher, parois et plafond de planche, un décor minimaliste et dépouillé avec pour mobilier de simples cubes de bois naturel. Seules trois jeunes femmes en fond de scène portent des robes courtes d'un vert d'eau qui tranche à peine sur la blancheur des costumes. Un personnage vêtu d'un costume noir circule entre les groupes. A l'ouverture, les figurants se mettent à nu, sans provocation aucune, ils portant des sous-vêtements couleur chair, et se barbouillent rapidement le corps de couleur bleue, les corps s'unissent et forment des vagues ondulantes, le ciel sera bientôt envahi de nuages faits de corps photographiés. Les éléments sont en ce moment encore bienveillants pour ces corps formant un Rhin ondulant entourant aimablement les trois Filles du Rhin. L'or du Rhin sera lui aussi incarné dans la forme dorée du corps d'une figurante ramassée sur elle-même. Le travail chorégraphique est mené et exécuté avec une précision minutieuse, à l'aune de la mise en scène et de la direction musicale.

Les corps formeront l'essentiel du décor. Au Wahhalla, ils constituent les murailles cyclopéennes du nouveau château érigé par les géants qui ont exécuté la commande de Wotan. Les murailles sont faites de corps juxtaposés dont certains sont placés à intervalles réguliers sur les cubes de bois pour simuler les créneaux du mur d'enceinte du divin séjour. Les géants Fasolt et Fafner qui n'ont pas hésité à compresser les corps pour en faire des blocs cyclopéens de chair pressée sur lesquels ils viendront se jucher, un moment revêtus d'habits gigantesques qui rappellent ceux des géants des cortèges folkloriques.

Erda (Okka von der Damerau) et Wotan (Wolfgang Koch)

Si l'idée-force de cette mise en scène, -utiliser des corps comme éléments de décor-,  est simple, elle n'en est pas moins  d'une efficacité remarquable. On retrouvera encore les corps des figurants lors de l'apparition d'Erda, formant un cercle de forces telluriques qui entourent la déesse.

Le dépouillement minimaliste délibéré du décor permet de ménager des transitions de décors tout en souplesse. Ainsi le passage entre le monde divin du Walhalla et le monde souterrain des mines et de la forge de Mime se fait par un simple jeu de machinerie: le plancher et le plafond de planches se mettent en mouvement pour se rejoindre à l'arrière pour former un dièdre. Un interstice est laissé entre les deux plans obliques où vient défiler une chiourme qui travaille inlassablement dans les mines, soumise au fouet de gardes musclés. Parfois un des travailleurs de la mine tombe et meurt épuisé, il est alors poussé du pied vers une fosse d'où jaillit une flamme. Ces crémations instantanées soulignent l'efficacité de l'asservissement du peuple du Nibelheim à Albérich, le détenteur de l'anneau.

Les dieux et les déesses sont de purs germains blonds platinés et habillés d'élégants costumes et robes de soirée, le même type d' habits que portent les spectateurs en somme. Seul Loge, ce dieu pas comme les autres, se démarque en arborant un complet rouge plus voyant.

Andreas Kriegenburg  a misé sur une grande économie de moyens, qui sont tous efficaces et porteurs de sens. Un parti pris esthétisant couronné de succès.

La volonté conjointe du metteur en scène et du chef d'orchestre est de servir le récit wagnérien et d'en laisser résonner le texte. Ils laissent la place à la narration d'une histoire de relations complexes entre des êtres dont il ne s'agit pas tant de donner une interprétation que d'ouvrir au champ des possibles. Le metteur en scène soulignera la prépondérance du texte en le faisant par deux fois imprimer sur le plancher oblique.  L'interprétation n'est pas énoncée, des pistes sont suggérées, c'est en somme au public de travailler, de créer ou tout au moins de tirer les conclusions de ce qui est proposé. Il fallait pour cela que le texte wagnérien soit éminemment audible: Kirill Petrenko mène l'orchestre d'une façon mesurée, avec une pondération délibérée, ne laissant place à la fougue et à la puissance volumique qu'aux moments purement instrumentaux, ce qui donne aux chanteurs le loisir de faire parfaitement entendre tous les jeux des allitérations et des rimes internes chers au poète-compositeur. Pour magnifier l'oeuvre de Wagner, le maestro mise sur une fidélité rigoureuse à la partition et une précision quasi amoureuse qui suppose une concentration de tous les instants, avec une vision d'ensemble qui ne néglige à la fois aucune des parties, un grand soin apporté aux transitions et une science des couleurs admirables.

A. Tsymbalyuk (Fasolt), W.Koch (Wotan), A. Anger (Fafner)

A la maestria de la direction et de l'orchestre répond un plateau parfaitement équilibré dans l'excellence. Primus inter pares, John Lundgren donne un Alberich d'anthologie: le charisme de son  interprétation est tel que  le prologue de la tétralogie semble d'abord narrer l'histoire du "nain maléfique".  L'étude du rôle qu'a réalisée le baryton basse suédois ne laisse rien au hasard, la projection de la voix, l'émission des consonnes  et l'articulation sont parfaites, chaque mot est pensé, chaque phrase chargée d'une émotion authentique. La beauté de sa voix puissante au timbre de bronze se déploie dans de magnifiques couleurs. La composition du personnage en détaille la psychologie au point de nous faire découvrir une part d'humanité chez ce personnage à l'insupportable machisme dont les noirceurs, -les colères, les frustrations et les peurs, puis la vantardise-,  sont pourtant très détaillées, mais qui est en fait la première victime de l'or du Rhin auquel il sacrifie cette valeur suprême qu'est la capacité d'aimer et d'être aimé. On retrouve Wolfgang Koch, un des meilleurs barytons dramatiques de notre époque, en Wotan, un des ses rôles fétiches, dans lequel il avait notamment  excellé au Festival de Bayreuth de 2013 à 2015 alors que Kirill Petrenko y dirigeait le Ring: La connivence entre le maestro et le chanteur est patente. Son interprétation toute en nuances souligne les faiblesses et la légèreté du dieu, et notamment le côté irréfléchi des décisions qu'il prend sans en mesurer les conséquences. Norbert Ernst reprend ici le rôle de Loge qui lui avait valu un franc succès à Bayreuth en 2014. Son timbre clair, sa diction et son phrasé parfaits, son chant très stylisé et riche en couleurs servent sa fine interprétation du demi-dieu. La mezzo Ekaterina Gubanova compose une Fricka avenante et sensible, avec de belles clartés et une vivacité vocale, et un superbe registre médiant. Wolfgang Ablinger-Sperrhacke dresse le portrait du nain Mime  avec les moyens de son ténor de caractère vibrant et par un engagement d'acteur impressionnant. Les rôles de Fasolt et de Fafner sont magnifiquement interprétés par rien moins que Alexander Tsymbalyuk et Ain Anger, deux grandes voix et deux grands gabarits qui semblent faits pour porter les costumes des géants. La jeune soprano sud-africaine Golda Schultz chante la partie de Freia, la déesse sacrifiée,  avec une ligne très pure. Au Froh de Dean Power, élégant et léger, répond le Donner plus puissant de Markus Eiche. Les Filles du Rhin sont chantées avec bonheur par Christina Landshamer, Rachael Wilson et Jennifer Johnson. Enfin, last but not least, Okka von der Damerau, qui excelle dans les rôles de prophétesses, reprend le rôle d'Erda auquel elle apporte les substances riches et chaleureuses de son beau mezzo et sa prestance majestueuse et pour lequel elle récolte une belle part d'applaudissements.

Prochaines représentations:  les 13 janvier et  juillet 2018

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