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vendredi 6 avril 2018

Histoire merveilleuse et tragique d'un Roi qui voyait la vie en bleu, un article de Léo Larguier dans La Revue bleue.

De Léo Larguier (1878-1950), les amis de Louis II de Bavière connaissent surtout son ouvrage intitulé Le Roi sans reine : Louis II de Bavière (1934). Collaborateur de la Revue politique et littéraire, communément appelée la Revue bleue, Larguier y publia en 1911 un article aussi sensible que poétique consacré au roi, et sans doute oublié. 

Le voici exhumé de la Revue bleue (année 1911, pp. 156 à 158), livré à votre appréciation.

"Histoire merveilleuse et tragique d'un Roi qui voyait la vie en bleu.

Ma servante, qui n‘aime pas les fleurs sèches, m‘a rapporté une branche de mimosas. Un papier humide entourait les petites boules poudreuses. C'était une feuille d'un magazine allemand roulée en cornet et pleine de gravures  représentant le roi Luitpold de Bavière, le plus récent et le plus âgé de tous les souverains.

Près du feu, et sans sortir du papier mouillé le rameau de mimosas, j'ai examiné le vieux dynaste nonagénaire, tour à tour en veste de chasse et en chapeau tyrolien, en uniforme constellé de croix et en casque à pointe.

Voilà donc l'oncle de Louis II de Bavière. Je n’avais jamais vu ce visage barbu de fleuve mythologique; il doit, malgré le siècle qui pèse sur lui, se porter comme un braconnier de la montagne et avoir des yeux d‘acier bleus-clairs.

Il était Régent depuis 1886, et il s‘est assis l‘an dernier sur le trône de son neveu, le roi fou, comme on l‘a appelé...

Etait-il réellement fou, ce Louis II qui se noya dans le lac de Starnberg?

Fou? Non, mais romantique à tous crins, romantique comme Péhus Borel ou Philothée O‘Neddy, ces jeunes hommes chevelus qui épouvantaient le bourgeois glabre, les épiciers, les notaires et les gardes-nationaux de 1830.

Lorsqu‘on n‘est rien qu’un homme au milieu des autres hommes, l’idéalisme, le goût du silence et de la fantaisie vous désignent à tous les coups; lorsqu’on est un roi, cela devient terrible, et on le lui a bien prouvé.

Louis II, roi de Bavière, prince Palatin du Rhin, vivait seul, n’ayant ni reine, ni favorite, dans un pays où les familles nombreuses sont en honneur; il ne buvait pas de bière, et Munich, - où il n’allait jamais d‘ailleurs, - était sa ville capitale ; il aimait le vin de Champagne et la France, et il ne s‘en cachait pas au moment même où, à Versailles, on pouvait voir à la brune les deux manteaux blancs et les casques barbares de Bismarck et du feld-maréchal de Moltke, dans une allée de ce jardin où Molière médita; où Mme de Maintenon, quittant le bras écarlate du Roi-Soleil, rajustait, à l’écart, un ruban à sa forte jambe de Junon; dans ce parc unique où la soutane violette de Bossuet balayait les feuilles mortes, où la reine Marie-Antoinette riait, déguisée en laitière, avec la mélancolique princesse de Lamballe!

On ne le voyait jamais. Il faut être fou, n'est-ce pas,  pour vivre seul et loin de tous.

Est-ce que les bons fonctionnaires bavarois étaient invisibles, eux? Bien nourris de choux, d'oie et de saucisses, bien abreuvés de bonne bière, dans un habit sans élégance mais solide, avec leur bonne femme et leurs nombreux enfants, ils allaient écouter, le dimanche, la musique sous les tilleuls, et Dieu les bénissait et leur donnait chaque année un garçon
roux ou une fille blonde.

Où donc était le roi de ce bon peuple? On ne le savait jamais.

Il ne paraissait ni aux galas de la cour, ni aux fêtes de la ville. il avait la nostalgie et l’ivresse de la solitude formidable des montagnes.

Il lui arrivait d‘appeler ses piqueurs à deux heures du matin, on attelait à un lourd carrosse Louis XIV,
tout doré, les chevaux blancs qu’il désignait par leurs noms, et dans la voiture éclairée qui roulait à grands fracas sur les pentes, escortée par des cavaliers portant des torches, on voyait dans un éblouissement d‘éclair et de rêve, le jeune roi méditait vêtu d’un immense manteau bleu!

Il s‘en allait ainsi au hasard, dans cet étrange et somptueux équipage.

Parfois il s‘arrêtait devant l'humble maison de quelque paysan qui l’adorait, demandait un verre d‘eau glacée qu'une jeune fille à demi endormie venait lui offrir à la portière de son carrosse, et il repartait.

Il aimait aussi se coucher dans l‘herbe diamantée de rosée, laissant sur la route nocturne ses gens et  la voiture illuminée et demeurant pendant des heures à regarder au fond des gouffres tyroliens les lacs
froids où se noyaient les étoiles.

Ce prince palatin du Rhin était un roi de féerie; il eut dû régner au temps de la chevalerie et des légendes sur un royaume d’abîmes, de pics neigeux et et d‘étangs bleuâtres, souverain de la forêt des elfes et des eaux pâles que hantait la Loreleï.

Il était un de ces rêveurs impénitents de l’antique Germanie, la Germanie des chênes, des tilleuls et des forêts noires; la vieille Allemagne idéaliste qui croyait à la présence de Méphistophélès dans la taverne embrumée par la fumée des pipes, et qui frissonnait en songeant à la ronde du Walpurgisnachtstraum!

Arrivé trop tard, au temps de Bismarck et de la conquête prussienne, il avait sans doute abdiqué dans son cœur avant d’être dépossédé.

Les affaires sérieuses ne l’intéressaient pas. Il détestait les graves conseillers antiques, il ne voulait pas voir ses ministres, lorsqu‘ils étaient trop laids, mais il faisait bâtir des châteaux sur des cimes vierges, et à Triebschen où il arrivait sans escorte, pareil au plus humble, au plus ébloui des disciples, il couchait dans un lit de camp que l’on dressait pour lui dans le cabinet de Richard Wagner, dans cet oratoire tendu de lourdes étoffes et toujours parfumé à l’extraitde roses blanches.

Son royaume n’était pas de ce monde et on le lui prouva. Il menaçait de ruiner les finances de la Bavière, si son oncle Luitpold et ses prudents conseillers n’avaient été là.

Ils étaient là, avec leur solides qualités, leur bon-sens pratique, leur esprit d’ordre, et le prince Luitpold joignait peut-être à ce chapelet de vertus moyennes un grain d’ambition.

Le frère de Louis II, Othon, étant fou, on n’eut aucune peine à tranformer en folie dangereuse la fantaisie du jeune roi, et le prince Luitpold proclamé Régent envoya le docteur Gudden, un aliéniste, et quelques serviteurs qui devaient s’emparer de son neveu.

M. Ferdinand Bac, dans un beau 1ivre courageux  (Chez Louis II, Roi de Bavière, édit. Fasquelle)), a donné, dans l’un des chapitres qu’il consacre à Louis II, la proclamation que le roi écrivit et que publia un journal aussitôt confisqué. En voici quelques passages:

"Moi, Louis II, Roi de Bavière, Me voit  contraint d'adresser à Mon peuple bien-aimé et à toute la Nation allemande l'appel qui suit:

Le prince Luitpold, sans Mon consentement et contraire à Ma volonté, se porte avec l'intention de se déclarer lui-même Régent de Mon pays. Le Gouvernement actuellement en fonctions a trompé Mon cher peuple en répandant des renseignements mensongers sur Mon état de santé et prépare des actes de haute trahison.

Or,  Je suis aussi sain de corps et d’esprit que n'importe quel monarque, mais l’acte de haute trahison M''a surpris au point qu’il ne me reste point le temps d'opposer des mesures efficaces à l’anéantissement de desseins aussi criminels.

Mes braves et fidèles sujets ne m’abandonneront pas, J'en ai la certitude. Et si l'on devait par la force
m’empêcher de sauvegarder Mes droits sacrés, légués par des lois séculaires et par la volonté de Mon peuple, que cet appel suprême soit pour chacun un ordre de se rassembler autour de Mes loyaux partisans et de contribuer à déjouer l’attentat projeté contre votre Roi et votre patrie.

Donné à  Hohenschwangau, le 9 juin 1886.
LOUIS II, Roi de Bavière, Prince Palatin du Rhin, etc... "

Est-ce la protestation d’un dément?

Le crime fut exécuté en silence et Louis II eut pour cabanon quelques chambres du vieux château de Berg.

Il n’y demeura pas longtemps.

M. Ferdinand Bac éclaire l’ombre mystérieuse qui pesait sur sa fin. Ecoutez:

- " Une fois amené dans sa prison du lac de Stamberg, c'en était fait de lui. Vous savez qu’on voulait le faire évader... Tout ce que nons savons, c‘est que l‘impératrice Elisabeth (1)  a été aperçue le soir de la mort du roi dans une voiture qui stationnait non loin de la grille du château. Plusieurs personnes connues de nous se sont tour à tour approchées de cette voiture pour lui parler, pour recevoir des ordres ou pour apporter des nouvelles.

Ce qui est certain, c’est que, dans la soirée même de la mort, un landau fermé attendait pendant plusieurs heures Sa Majesté derrière la clôture du parc.

Mais pour y arriver en venant du château, il fallait franchir une haute grille qui plongeait dans
l’eau, ou bien il fallait la contourner en nageant,

Le roi était au bord du lac. Gudden,  comme vous savez, l’accompagnait. Arrivé à l'extrémité du parc, le roi a dû se jeter brusquement dans l’eau pour atteindre la voiture qui l‘attendait. Il était bon nageur, mais le médecin se sera mis a sa poursuite. Et ce devait être entre ces deux hommes une lutte horrible...Sa Majesté avait sa lorgnette qui ne le quittait jamais, accrochée à une courroie. Elle la. sortit sans doute pendant ce corps-à-corps et s‘en servant comme d’un marteau, tout en se débattant sous l’eau, elle défonça le crâne de I’autre...

La cervelle du docteur Gudden  flottait éparse, parmi les joncs, dans l'eu rouge de sang...

Ce sont les choses qu'on ne sait pas...!


*
*      *

J’ai sorti le rameau de mimosas du cornet de papier que j’ai jeté au feu.

La feuille humide est devenue toute noire, puis elle a flambé d’un seul coup avec le vieux Luitpold de Bavière qui étouffa le grand cygne de Hohenschwangau, prince paladin du Rhin, Chevalier du Graal, Souverain des Cimes Vierges, qui mourut pour avoir trop aimé les lys et les étoiles, la solitude, la poésie et le rêve, le double azur du ciel et des lacs, et l'herbe diamantée de rosée qui trempait  son manteau bleu.

LÉO LARGUIER.

(1) L’Impératrice d’Autriche était la cousine de Louis II."



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